Mes intentions pendant cette résidence de recherches étaient de faire coexister dans un même espace et autour du dessin les différentes pratiques que j’ exerce, autrement dit, le son, l’usage des mots, la sculpture et l’installation, dans un projet immersif donnant à voir un mouvement immobile fait de vibrations, d’ échos et de résonnances. L’idée sougeacente étant d’enlever pour révéler, d’ ôter pour fabriquer, il s’agissait pour moi de mettre en avant le processus, la recherche, faite de bifurcations, de sérendipité, par des gestes tels que le déchirement, le collage, la fragmentation, la recomposition. C’est un projet en effet boule de neige, le battement d’aile du papillon menant à une théorie d’un chaos tranquille.

La pièce principale, MurMur, est un projet en mouvement, une pièce à multiples aspects, se développant dans l’espace, se décomposant et se recomposant comme un puzzle, se dérangeant et se floutant comme une image glitchée, s’interpénétrant et fusionnant, comme deux corps qui s’entremêlent.
C’est au départ un projet dans un projet, fruit d’un accident, des dessins tout en vivrations tombés au sol, un message secret qui se révèle au mur, ce sera “MurMur”.
Disposés dans un coin de murs, deux grands dessins, inspirés de la nature environnante, ont été déchirés en 85 fragments chacun, ils ont plusieurs modes d’accrochages possibles, présentés dans leur entièreté, ils peuvent être emputés de certains dessins, donnant à voir un paysage morcelé ou désordonné, et lorsqu’ils tombent, le mot “murmur” plus ou moins lisible, apparait.
MurMur, c’est la rencontre entre deux mots, “Mur” qui décrit l’espace où il se trouve, la stabilité, la frontière, le pouvoir, l’empêchement, et “murmur” qui évoque les vibrations dessinées sur le papier, les début de la rumeur qui se faufile entre les murs, le début d’un contre-pouvoir.
MurMur n’ existe que par le déchirement d’un dessin en autant de fragments, les bords dentelés de ces éléments portant la mémoire d’une même appartenance, d’un ensemble cohérent et coexistant.
C’est aussi le murmure d’autre chose, des fragments qui deviennent dessins, autonomes, et s’émancipent dans l’espace, ou se retrouvent ailleurs, autrement, tels le murmure des oiseaux, qui volant en nuée, se déplacent en formation synchronisée. C’est un projet en développement, un démarrage.

En face de MurMur, deux dessins sur papier au fusain râpé et tapoté. L’un à la forme en miroir d’une des pierres du village des arques décalquée au préalable, le deuxième est la contre-forme du premier déchiré de celle-ci.
Le papier très épais a des allures de plâtre ou de faillence.
En se rapprochant du dessin qui flotte le long du mur, on entend une bande son fabriquée à partir de l’enregistrement des marges déchirées de MurMur, comme si la pierre renfermait l’atelier en son sein, ses résonnances, mais c’est également l’idée que la matière dessinée enlevée vienne fabriquer une matière sonore en écho.

Dans un autre coin de mur, La lavendière prend la forme et la taille d’une mare croisée dans les marais des Arques, elle représente cet instant éphémère de son existence, car dès lors que revient l’hiver, l’eau remonte et elle n’ existe plus à l’état de mare, se noyant dans le marais.
La lavendière fait également référence à un texte écrit par Georges Sand dans son livre “Contes et légendes du Berry”, dans lequel elle écrit des récits répertoriés par son fils. Les lavendières étaient des mères infanticides battant le linge à la nuit tombé, linge qui n’était autre que leur enfant mort lorsqu’ on y regardait de plus près. Cette projection que les hommes font de leur peur de la mort dans des éléments du paysage, m’intéresse particulièrement, c’est encore une manière de questionner le temps qui passe, notre vulnérabilité, dans des éléments naturels qui n’ont pas bonne presse ( “les mares ne sentent pas bon, elles font trop de bruit, c’est sale”), j’ ai une affection particulière pour ce que l’on met au rebus, que l’on ne veut pas voir : les marges des dessins, les mares, les mauvais herbes...

La croix au sol, composée des petites marges déchirées provenant de MurMur, est le point depuis lequel on aperçoit la Lavendière en anamorphose, mais c’est également l’emplacement du bureau depuis lequel j’ai travaillé à cette installation pendant un mois, mettant en avant le processus, elle s’ impose comme le marquage d’une scène de crime.

Elle fait écho à l’abeille trouvée morte au début de la résidence et préservée sous un indice de marquage fabriqué en marges également, l’abeille qui réunit à elle seule tant de manière de nous interroger sur notre propre temporalité.

En bas à droite, un des trois éléments de Mauvaise herbe en pierre de calcaire des Arques et en marges de dessins est encore un clin d’oeil à ce qui nous dérange, papier bon pour la poubelle, plantes invasives ou “salles gosses”.

Le Lassot est une bobine de marges de MurMur mises bout à bout, une pelotte vouée à s’augmenter de celles à venir, de celles passées. Je garde mes marges de dessins depuis quinze ans, attendant qu’elles se révèlent d’une façon ou d’une autre, c’est ici aux Arques, qu’ elles ont trouvé une manière d’exister. C’est mon fil d’Ariane, pour retrouver le chemin de mes idées et de mon écriture, c’est aussi un nouvel outil de dessin, une nouvelle manière de tracer des lignes dans l’espace.

Enfin, près du sol, de manière presque anecdotique, c’est le mot “Lignes” justement qui est écrit puis défragmenté. Dans la région, les pierres sont en calcaire, elles s’effeuillent comme on pèle un oignon. Au cours d’une promenade dans une carrière, j’ai effeuillé quelques pierres de calcaire, en revenant à l’atelier, leur forme tout naturellement se sont associées pour créer le mot “lignes”. Trop direct à mon goût, trop descriptif, je l’ai décomposé, effrité quelque peu, reste les vestiges du mot, une typographie discrète rappelant, que tout ça est une histoire de lignes, de fragmentation, de strates, de bifurcations, d’échos.