Nonage for ages, Frappant Galerie 
Curatrice : Erika Brey


“Sommes-nous encore une société soutenue et imprégnée de l'esprit des Lumières ? Assumons-nous la responsabilité personnelle de notre structure et de notre développement politique, écologique et social, ou avons-nous tendance à confier cette responsabilité en grande partie aux autorités ? Avons-nous, en tant qu'individus intégrés dans une société, la possibilité d'agir de manière indépendante et de ne suivre que notre conscience ?
Ce sont les questions que trois artistes abordent, chacun d'une manière très différente, dans l'exposition "NONAGE FOR AGES".”
Erika Brey


Dans l'exposition Nonage for ages, je propose un ensemble composite, dans lequel le dessin est protéiforme, naissant de l'écriture, fabriquant le son, se matérialisant dans la sculpture. La nature, élément essentiel de ce continuum y est omniprésente.
Explorant la force et la puissance discrète du pli, je questionne la capacité qu'un pouvoir autoritaire a à contraindre les esprits libres, ainsi que la nécessité de penser et d'agir collectivement au travers de 4 œuvres principales :

Ich werde nicht mehr stören (Je ne dérangerai plus)
Les traces persistantes du pli
L'Eclat
Flux et reFlux

Ich werde nicht mehr stören est un dessin écrit. Les mots tracés tout d’abord à la pierre noire sont ensuite étalés pour être transformés en dessins. Il n’y a pas de rajout de matière, seule la substance des mots permet la construction de l'image. C'est bien le récit lui-même qui crée le paysage.
Dans le tryptique, se sont les phrases punitives que doit recopier l'écolier des centaines de fois qui vont créer le paysage fait de roseaux.
Les mots écrits sous la contrainte, promettant de ne plus déranger, dessinent par leur substance la liberté contraire qui habite celui qui les écrit, les roseaux, sauvages, qui ploient sous la force du vent mais n'auront de cesse de se relever.
Pascal disait de l’homme qu’il était un “roseau pensant” et La Fontaine précisait que “le roseau plie mais ne rompt point”.

Les traces persistantes du plifait partie d'une série de dessins, dans lesquels les paysages dessinés sont froissés, pliés, froncés. J'apréhende le pli comme le lieu qui contient les émotions et met en perspective les intentionnalités individuelles ou collectives (sous la forme du paysage plié) vis-a-vis d'un monde englobant (la surface totale du papier).

Le paysage dessiné est un paysage plié dont la surface globale supposée semble plus grande que la surface du papier. Le paysage semble resséré, enfermé, contraint, mais il paraît évident également qu'il ne pourra jamais ni se réduire ni disparaître. Il y a toujours un pli dans le pli. Ce paysage est unique mais contient en lui le multiple. Ses plis induisent son dépliement.

Cette dimension du pli est dynamique, c’est un processus en cours, une activité. Il y a ce que le pli déploie ou développe. Il implique, littéralement ; « implication » (im-pliquer, du latin in-plicare) signifiant « plier dans ».
Le paysage, à la fois symbole de la nature mais surtout portrait de la pensée reconstruit sur ses plis.

L'Eclat est un drapeau dont l'étoffe est en papier journal imprimé et la hampe en chaume de bambou.
A l'instar des roseaux, les chaumes de bambou se balancent aux vents forts et se plient sous le poids de la neige mais ne se cassent que très rarement.

L'Eclat prend la liberté de la presse écrite comme emblême, la capacité d'agir étant étroitement liée à la connaissance, le journal fait partie de l'espace de l'information et de la réflexion. Faite de papier journal, l'étoffe est aussi fragile que l'est la liberté de la presse et l'indépendance du journalisme dans beaucoup de pays actuellement.

Mais le drapeau attaché en haut de la hampe représente un paysage effacé en son centre. Une façon poétique d'évoquer le flou informatif, un monde qui se consumme, une perception trouble des évènements.

Flux et reFlux est un mugissement, la rumeur de la mer à la façon de Leibnitz.

Il s'agit d'une œuvre sonore qui fait écho à un de ses textes dans lequel il écrit à propos du mugissement des vagues et explique que ce mugissement n'est possible que par la somme de milliers de goûtelettes superposées les unes aux autres posant la question de l'individu et de la multiplicité.

Flux et reFlux est composée d'une quarantaine de prises de son de ma plume qui dessine le chant de la mer. Ecoutant au casque une bande son de 2 minutes de la houle préalablement enregistrée à l'océan, je dessine le son que j'entends à la plume, appuyant plus ou moins fort sur le papier, dessinant plus ou moins vite, et j'enregistre ces deux minutes de dessin. Je répète cela une quarantaine de fois. En superposant ces quarante enregistrements, j'obtiens ce mugissement, cette rumeur. Au lieu d'un son brouillon et chaotique, on a bien un paysage sonore qui se dessine dans un mouvement commun. Tout en gardant une perception de chaque coup de plume, à l'instar des goûtelettes, ils rentrent dans la genèse d'une perception globale et englobante. L'auditeur intègre des differences evanouissantes. Mais le micro bruit de trait reste présent à notre conscience.

Sous la clarté et la distinction de nos perceptions, il y a une infinité de petites perceptions confuses qui font de la volonté un phénomène beaucoup plus complexe que la simplicité qu'elle se donne à elle-même ou qu'elle manifeste.

Flux et reFlux invoque une texture d'évenement. L'évènement est précédé par une rumeur sourde. Il est accompagné et prolongé par des echos à l'infini, des vagues, flux, echos, ombres portées, qui se répendent à l'infini autant qu'elles se plissent.


Légende des images

Ich werde nicht mehr stören
2021
pierre noire sur papier
tryptique, 150 x 300 cm

Les traces persistantes du pli (Die hartnäckigen Spuren der Falte)
2021
encre de chine sur papier
120 x 160 cm

L'Eclat
2021
Bambou, papier journal imprimé, fil à coudre
300 x 150 cm

Flux et reFlux
2021
bande sonore 3,40''