Interview retranscrit, Galerie du Philosophe, Carla-Bayle
L’interview se fait en marchant. Le temps d’une promenade, dont l’aboutissement est notre arrivée à la galerie, mon interlocuteur me demande de lui raconter mes oeuvres. 



« 365 lettres à Théodore » est une série épistolaire adressée à mon fils. C'est une sorte de testament sensitif et réflectif sur la météo, sur le temps qu'il fait, et de fait sur le temps qui passe. On y lit également mon déplacement dans l'espace de toute une année puisque les lettres sont situées localement. J'aimais bien l'idée de prendre pour thématique la météo qui est souvent perçu comme un sujet de seconde zone, un sujet léger quand on ne sait pas trop quoi se dire (bien sûr depuis il a été remplacé par le covid, mais en 2019, il n'en est pas encore question). Je trouvais d'ailleurs intéressant de montrer ces lettres ici, maintenant, après cette année 2020, car elles ont sûrement un tout autre écho, en effet si je les avais écrites l'année qui vient de passer avec ses multiples confinements, l'intention n'aurait certainement pas été la même, elles auraient sans doute étaient écrite sous le coup de l'épreuve, de l'obligation d'être enfermée, de l'attente. Au contraire quand je les écris en 2019, c'est plutôt en réaction à une sorte d'angoisse et de stress que je ressens face à un monde qui va trop vite pour moi, à une course vaine et dangereuse. Je cherche à ralentir le temps ou si ce n'est pas possible tout du moins à en avoir conscience, à le prendre, à prendre le temps de décrire le temps.

En face, il y a « Acouphènes », une série de dessins que j'imagine à peu près à la même période, où je ressens des acouphènes pour la première fois, sans doute un peu pour les mêmes raisons. Dans cette composition, je cherche à matérialiser le son silencieux des acouphènes par ce qui n'est pas dessiné, par la réserve. C'est le blanc du papier qui doit donner matière aux sons que l'on attribue aux acouphènes, les bruissements, claquements, frottements, parfois le blanc est liquide, fume ou brûle.
C'est une sorte de partition en constant mouvement. Elle se métamorphose dans le temps car à chaque fois que je la présente, certains dessins restent sur place, achetés par des visiteurs, et je les remplace par d'autres, un peu similaires, un peu différents. C'est un ensemble modulable et mouvant.

Entre ces deux séries, il y a une œuvre sonore qui s'appelle « flux et reflux », je l'ai faite en écho à un texte de Leibnitz qui m'habite depuis longtemps. Dans ce texte il parle du mugissement des vagues et explique qu'il n'y a mugissement que par la somme de milliers de goûtelettes superposées les unes aux autres, c'est bien sûr la question de l'individu et de la multiplicité qu'on retrouve dans mon travail. En effet j'attache une importance toute particulière à chacun de mes dessins, de mes sculptures, mais il est primordiale pour moi de les faire fonctionner dans leur ensemble afin qu'une sorte de mugissement en ressorte. Quoi qu'il en soit, j'ai fait cette pièce directement liée à ce texte. Pour la comprendre, il faut que je vous explique un peu le processus. En fait, j'écoute au casque le son de la houle préalablement enregistré à l'océan, et tandis que j'écoute cette bande sonore (qui dure 2 minutes environ), je dessine ce que j'entends, je dessine le son à la plume, en appuyant plus ou moins fort sur le papier, en dessinant plus ou moins vite, et j'enregistre ces deux minutes de dessin. Je répète cela une quarantaine de fois. J'ai donc à la fin quarante enregistrements de ma plume qui dessine la houle et en les superposant j'obtiens ce résultat. Au lieu d'un son qu'on aurait pu croire brouillon et chaotique, on a bien un paysage sonore qui se dessine dans un mouvement commun.

Face à la vague que forme l'ensembe des « Acouphènes » le son peut sembler sortir directement des dessins.

Ensuite, il y a les sculptures en céramique, l'ensemble s'appelle « paysage domestique », elles reprennent des objets du quotidien, sans pour autant coller complètement à la réalité, on retrouve certaines échappées dans les plis qui rappellent mes dessins. Elles sont disposées ça et là, tels des objets fossilisés, négligés mais devenant présents et faisant partie d'un même paysage par leur texture commune qu'est la céramique et leur couleur blanche qui les révèle en contraste avec le sol. Elles participent du léger chaos qui règne dans l'espace de l'expo, et sont les témoins d'un environnement familier. Ces sont des sortes de fils qui lient mon espaces de vie et de travail à l'espace de l'exposition, des fils que je voulais ténus ici.

Enfin, il y a les journaux et les avions en papier.

Pour ce qui est des journaux, le dessin imprimé s'appelle l'Eclat. Je n'en dirai pas plus, je préfère vous laisser la liberté d'interprétation. Ce que je peux dire c'est que le journal est évidemment un élément qui rappelle le quotidien, mais aussi l'espace de l'atelier et de la réflexion et qui donc trouve parfaitement sa place ici.

Quant aux avions, en arrivant dans l'exposition, j'ai découvert un carton plein de cartons d'invitation datés d'avril 2020. De cette épreuve, de cette situation que subissent beaucoup d'artistes notamment, car la culture comme vous le savez n'est pas franchement essentielle aux yeux de certains, j'ai voulu en faire quelque chose car c'est ce que nous faisons, rendre beau ce qui est laid, s'emparer de ce qui est subi, interroger ce qui nous est imposé. Bref. Au lieu de balancer ces cartons, et de les jeter chiffonnés aux oubliettes, j'ai préféré les faire voler et parfois pourquoi pas les faire se coordonner pour en faire des sculptures à l'images des planeurs faisant des figures de voltige. L'ensemble s'appelle « time flies » autrement dit « le temps file », ou textuellement, « le temps vole ».

Voilà. Nous arrivons à la galerie.