À l’Intérieur - Océane Moussé.
L’œuvre dessiné d’Océane Moussé traduit un mouvement, celui de la mondialité, celui de l’histoire humaine. Elle figure, entre ombres et lumières éblouissantes, un chaos ordonné qui recèle espoirs, illusions et inquiétudes. La figure humaine y apparaît en masse – la foule avance de manière disciplinée, elle trace un chemin infini, mystérieux et vains. Les êtres sont agglutinés, parqués, rassemblés au sein de paysages désertiques, des prairies privées de toute habitation. Où vont-ils ? Que cherchent-ils ? Ils marchent, ils suivent ou créent le mouvement que l’artiste se plaît à explorer. Elle déploie un univers tantôt peuplé, tantôt vidé. Nous sommes sur la planète terre ou bien dans un nouvel espace où tout est à construire et déconstruire. Entre exode et conquête, la figure humaine sembler errer dans un espace oscillant entre liberté et servitude.
Le trait est fin, les détails fourmillent dans cet univers qui devient progressivement le notre. Nous partageons l’élan d’une marée humaine en errance. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Pendant que deux corps se prélassent dans les herbes, un groupe monte les marches d’un observatoire. Ils grimpent, s’arrêtent et observent l’horizon au moyen de jumelles. Que voient-ils ? Que cherchent-ils ?Les Migrateurs, valises en mains, lestés de leurs sacs à dos, sortent du ventre de la terre, ils s’agrippent aux failles et avancent ensemble vers un horizon incertain. Des intrus ? Des envahisseurs ? Depuis combien de temps avancent-ils vers cette destination énigmatique ? Parce qu’ils semblent se mouvoir aveuglément, certains, par manque de prudence et de conscience, chutent dans le sol crevassé. Les autres n’y prêtent aucunement attention, chacun pour soi, ils poursuivent leur périple absurde. La perte semble faire partie du jeu. Pendant ce temps, des hommes sillonnent les prairies derrière leurs tondeuses, ils créent des passages pour se diriger vers des espaces indéterminés et infinis. Un monde est à (re)construire. Aucun indice n’est donné, ces hommes qui avancent derrière leurs machines sont-ils des traceurs ou bien des effaceurs ? Nous avons soudain l’étrange impression de nous retrouver à l’intérieur d’un Télécran, cet écran magique avec lequel nous nous inventions des mondes lorsque nous étions enfants. Une fois le dessin terminé, il nous fallait secouer l’écran pour que le trait disparaisse. Le dessin y est sans fin.
La figure humaine y est vivement critiquée : l’homme y apparaît comme l’égal du mouton de Panurge, un suiveur inconscient, docile. Comme dans un centre commercial ou une gare bondée, ils suivent les pas des autres et adoptent tous un comportement identique. Nous assistons à la conformation collective d’une masse irréfléchie. Les gestuelles sont reproduites, copiées, collées. Ainsi Les Touristes, les yeux levés vers le ciel, jumelles en main, regardent au loin. Qui les guide ? Quelles sont les instructions ? Quel est l’objectif de cet étrange exode ? Ils arpentent des paysages gris et blancs, telle une colonie d’insectes uniformisée, déshumanisée. Tous vêtus de blanc, sans visage, sans identité. Des hommes et des femmes errent, encapuchonnés, protégés par leurs manteaux. La loi du groupe l’emporte sur les individualités. En effet, si quelques-uns avaient choisi d’emprunter d’autres chemins, de s’échapper pour s’extraire la masse, celle-ci apparaît comme un aimant irrésistible. Ils y reviennent et s’y confondent inéluctablement. La fuite individuelle semble impossible, invivable.
Océane Moussé critique non seulement la standardisation du genre humain qui court à sa perte, mais aussi le système qu’il a lui-même façonné. Un système fondé une production aveugle, un insatiable besoin de construction, de conquête et de profit.Culture de Bossesen est la traduction objective. Les serres se remplissent progressivement d’une masse compacte : l’herbe coupée ? Des graines ? Du sable ? Des déchets ? L’infiniment petit se transforme en une forme compacte et adopte la silhouette d’un monolithe inhabitable. Si elle en a l’apparence, des murs et un toit, l’habitation est rendue impénétrable et inutile. Ce sont des dômes se multiplient et structurent peu à peu un paysage fantomatique. Des dômes éphémères puisque les Effaceurs se chargent de leur disparition, mais qui seront irrémédiablement remplacés. Le système a conduit l’humain à une existence régie par une répétition des actions, une circularité absurde qu’il génère et orchestre avec obstination.
L’artiste déploie un univers établi sur un équilibre, penchant tantôt vers une vision optimiste d’un monde que nous nous devons de réinventer ensemble, tantôt vers une observation qui se rapproche de notre réalité, un monde où l’homme se perd lui-même. La figure humaine y est mystérieuse, presque étrangère. Ses dessins posent des questions d’ordre existentiel, elles nous dérangent, nous bousculent et nous démontrent que tout n’est pas encore perdu.
Julie Crenn