Klang Der Stille, Galerie Saalbau, Berlin 

La quiétude apparente des choses dissimule souvent des discordances. L’exposition d’Océane Moussé, composée de paysages brouillés, froissés, accumulés, superposés et déchiquetés, révèle une tension latente, soulignant l’idée persistante qu’un paysage peut en dissimuler un autre. Car sous cette couche de peaux paysagères réside un murmure, une rumeur troublante, un silence bruyant qui invoque à la fois notre confusion et notre puissance collective. Des failles sont mises à nu, exposant la vulnérabilité d’un acouphène, un monde qui se consume, tandis que de manière subtile, à peine perceptible, l’insoumission se dissimule dans un geste contraint, le feu de la révolte se camoufle dans l’épaisseur des paysages, le grondement du nombre se fait entendre dans un flux et reflux dessiné, sonore, et sculpté.


Mars
2023
graphite et craie sur tableau noir
tryptique, 200 x 315 cm

Mars fait partie d’une série de captures de temps mensuelles sur tableau noir. Des paysages se superposent se faisant écho de déambulations, de bribes d’actualités, dans un silence bruyant.
Ici, s’entrelacent des paysages de mon mois de mars en France, forêt, mer, poubelle brûlée encore fumant de la veille. En mars, je voyage beaucoup en train pour des projets artistiques, et j’arrive de Berlin en pleines manifestations, grèves, trains retardés et annulés. J’ai donc le temps de regarder les paysages, de capter les images qui m’émeuvent. Et à chaque fois que les peuples se solidarisent pour protester, je suis émue. La partie dessinée à la craie est essentiellement celle qui représente le feu, la fumée, et la lumière qui s’en dégage. La craie ne se fixant pas au support, il faut continuer à alimenter cette lumière, cette fumée, cette force à l’unisson, pour la maintenir.



Les mots scellés
2023
Installation en évolution, encre de machine à écrire et graphite sur papier transfert, plaques d’aluminium, spots
environs 150 x 350 cm

Collection de témoignages sur le silence, silence voulu, silent nécessaire, silence forcé, silence du secret, silence vécu, expérimenté, ressenti...
Les mots scellés est une communauté grandissante de silences. Chaque récit est retranscrit à la machine à écrire sur une feuille de papier de 30 x 90cm légèrement transparente et fragile. Après pliage, les livrets présentent des textes morcellés, dans le désordre, certains passages sont à l'envers, gardant cet aspect du silence du secret, de ce qui ne peut ou n'arrive pas à être dit. Les mots sortent mais restent scellés.
Les livrets-récits, d'une morphologie en soufflet, organique, précieuse et intime, viennent se poser, s'accrocher à des tablettes de métal, tels des bijoux accrochés à leur écrin. Ces écrins en alluminium viennent illuminer les récits, les porter en apesanteur, tels des objets interstellaires faits d'ombre et de lumière, créant à l'unisson une musique silencieuse, chaque témoignage de silence faisant figure de note dans cette partition.
L'appel à participation reste ouvert pandant l'exposition.



La Mue des choses

2023
céramique, céramique émaillée, céramique raku.
formats variables

J’enveloppe des objets et des bouts d’espace d’une peau d’argile. Je transforme ainsi en matière le vide entourant l’objet. Une fois que celui-ci est à l’intérieur de sa nouvelle peau, parfaitement enveloppé, je l’en extrait.
Reste une cavité déchiré en son ouverture, contenant la trace de l’objet inital. Parfois je pèle l’enveloppe, créant des épluchures de vide. Il y a aussi des lambeaux de paysages, des peaux de rues portant leur nom.
Tels le serpent faisant sa mue, les objets se sont fait la malle, laissant des peaux d’argile derrière eux, mêlées à des épluchures de paysages, des lambeaux dansant, comme figés dans un courant d’air.



Les traces persistantes du pli (Die hartnäckigen Spuren der Falte)
2021
encre de chine sur papier
120 x 160 cm

Les traces persistantes du pli fait partie d'une série de dessins, dans lesquels les paysages dessinés sont froissés, pliés, froncés. J'apréhende le pli comme le lieu qui contient les émotions et met en perspective les intentionnalités individuelles ou collectives (sous la forme du paysage plié) vis-a-vis d'un monde englobant (la surface totale du papier).
Le paysage dessiné est un paysage plié dont la surface globale supposée semble plus grande que la surface du papier. Le paysage semble resséré, enfermé, contraint, mais il paraît évident également qu'il ne pourra jamais ni se réduire ni disparaître. Il y a toujours un pli dans le pli. Ce paysage est unique mais contient en lui le multiple. Ses plis induisent son dépliement.
Cette dimension du pli est dynamique, c’est un processus en cours, une activité. Il y a ce que le pli déploie ou développe. Il implique, littéralement ; « implication » (im-pliquer, du latin in-plicare) signifiant « plier dans ».
Le paysage, à la fois symbole de la nature mais surtout portrait de la pensée reconstruit sur ses plis.


Flux et reFlux
2021
bande sonore 3,40''

Flux et reFlux est un mugissement, la rumeur de la mer à la façon de Leibnitz.
Il s'agit d'une œuvre sonore qui fait écho à un de ses textes dans lequel il écrit à propos du mugissement des vagues et explique que ce mugissement n'est possible que par la somme de milliers de goûtelettes superposées les unes aux autres posant la question de l'individu et de la multiplicité.
Flux et reFlux est composée d'une quarantaine de prises de son de ma plume qui dessine le chant de la mer. Ecoutant au casque une bande son de 2 minutes de la houle préalablement enregistrée à l'océan, je dessine le son que j'entends à la plume, appuyant plus ou moins fort sur le papier, dessinant plus ou moins vite, et j'enregistre ces deux minutes de dessin. Je répète cela une quarantaine de fois. En superposant ces quarante enregistrements, j'obtiens ce mugissement, cette rumeur. Au lieu d'un son brouillon et chaotique, on a bien un paysage sonore qui se dessine dans un mouvement commun. Tout en gardant une perception de chaque coup de plume, à l'instar des goûtelettes, ils rentrent dans la genèse d'une perception globale et englobante. L'auditeur intègre des differences evanouissantes. Mais le micro bruit de trait reste présent à notre conscience.
Sous la clarté et la distinction de nos perceptions, il y a une infinité de petites perceptions confuses qui font de la volonté un phénomène beaucoup plus complexe que la simplicité qu'elle se donne à elle-même ou qu'elle manifeste.
Flux et reFlux invoque une texture d'évenement. L'évènement est précédé par une rumeur sourde. Il est accompagné et prolongé par des echos à l'infini, des vagues, flux, echos, ombres portées, qui se répendent à l'infini autant qu'elles se plissent.


Ich werde nicht mehr stören
2021
tryptique, pierre noire sur papier 
150 x 300 cm

Ich werde nicht mehr stören est un dessin écrit. Les mots tracés tout d’abord à la pierre noire sont ensuite étalés pour être transformés en dessins. Il n’y a pas de rajout de matière, seule la substance des mots permet la construction de l'image. C'est bien le récit lui-même qui crée le paysage.
Dans le tryptique, se sont les phrases punitives que doit recopier l'écolier des centaines de fois qui vont créer le paysage fait de roseaux.
Les mots écrits sous la contrainte, promettant de ne plus déranger, dessinent par leur substance la liberté contraire qui habite celui qui les écrit, les roseaux, sauvages, qui ploient sous la force du vent mais n'auront de cesse de se relever.
Pascal disait de l’homme qu’il était un “roseau pensant” et La Fontaine précisait que “le roseau plie mais ne rompt point”.


Tinitus 
2018-2023
encre de chine sur papier
formats variables 

Tinitus est une composition murale faite d’une vingtaine de dessins explorant les différents sons auxquels on associe ses acouphènes (bruissements, chuintements, vrombissements, pulsations, claquements...). Tentative picturale pour rendre compte de ces différentes sensations à partir de motifs paysagers et atmosphériques. Ce projet est né de l'arrivée d'acouphènes, mais surtout de la surcharge informative que je ressens à cette période-là et que j'associe aux acouphènes. Le blanc, l'espace vierge du papier, y est central pour explorer le bruit de nos réceptions et dissonances cognitives. Tantôt matière, liquide, solide, vaporeux, il brouille les pistes, brûle, s'évapore. Par ailleurs, Acouphènes est une sorte de partition en constant mouvement. Elle se métamorphose dans le temps, se sépare de certains dessins, en intégre d’autres. C'est un ensemble modulable et mouvant.